Quand j'avais environ 13 ans, je suis tombée dans le chaudron, comme on dit dans le milieu. Me suis passionnée pour les traditions anciennes, les rites presque oubliés, les symboles mystérieux et les ronds de bougies.
Quand j'ai trouvé, quelques années plus tard, Internet et les multitudes de gens intéressés par les vieilles traditions, le paganisme, la magie, le chamanisme, la sorcellerie et l'ésotérisme, j'ai vibré. Enfin j'avais des gens avec qui discuter de tout cela, et j'apprenais des tonnes de choses, des tas de correspondances, des mots, des concepts, des idées, des associations entre ci et ça et j'en oublie. Et puis sans que je ne m'en rende compte, je me suis fait bouffer. J'étais venue à ce que je vais appeler l'Occulte, pour simplifier, d'une manière très simple et instinctive, je faisais ma tambouille et, au final, peu importe si "ça marchait" ou non. J'étais heureuse, même si infiniment brouillonne. Mais les théories, les idées, c'est passionnant, on s'y plonge, on débat, on réfléchit, on change ses concepts, on déplace ses éléments sur son autel, puis on apprend un nouveau moyen de faire, on compare... ... et au bout du compte, on ne sait plus ce qu'on fait. J'avais tellement de choses dans la tête, j'avais engrangé tellement de savoir de tous les côtés que je ne savais plus RESSENTIR. Je n'en étais capable que quand je sortais de ce monde-là, quand j'allais juste me perdre en Forêt pour trois heures à causer avec les racines et respirer les feuilles mortes. Mon groupe païen, Genava, qui a été une immense source de joie, m'a aussi paralysée. Je sentais qu'on voulait que j'explique, que j'enseigne. Mais j'avais à la fois l'impression de savoir trop pour pouvoir l'expliquer, et rien du tout car je n'étais pas à la place des autres, et les chemins occultes sont personnels. Finalement, c'est au sujet de ces personnes, les autres passionnés d'Occulte, que m'est venu le plus grand ras-le-bol. Je ne dis pas qu'il n'y a pas des gens biens et sincères dans le tas. Bien sûr qu'il y en a. Toujours. Mais de ce que j'ai croisé, la grande majorité passent leur temps à se critiquer les uns les autres, ou alors à se féliciter et se baver dessus, mettre en scène leurs autels pour faire envie, aujourd'hui avec Instagram c'est la foire à qui fera la plus belle photo de son tarot ou de ses nonoss, il y a des groupes, des clans, tout le monde critique les Wiccans tout en ayant passé par là comme les autres, chacun se cherche une spécialité, quelque chose de particulier qui le fera sortir du lot, et ça y va à grands renforts de conseils qu'on n'a pas demandés, ça sait mieux que les autres, ça se moque de tout, tout le temps et pourtant c'est tout autant accroché à ses babioles que cet autre qu'on critique. Au final, il n'y a plus rien de vrai dans le tas. On sait plus qui fait quoi, les sources des infos sont complètement perdues (et quand on les remonte, on arrive presque toujours à Cunnigham ou, si on est chanceuse, à Gardner et sa clique, même chez les Asatruar ou Slavisants ou Stregheria). Quelqu'un qui a lu trois lignes sur un vague site web à propos des légendes sibériennes se dit passionné par le chamanisme Evenk et donne son avis dès qu'on dit le mot tambour. Je ne suis clairement pas pour les spiritualités organisées, je n'aime pas ça et j'apprécie justement que l'Occulte et les vieilles traditions soient si libres, qu'on puisse faire ce qu'on veut avec. Mais sans structure, ben c'est le bordel. Très peu gardent la tête claire et marchent droit. Je suis partie parce que j'en avais marre de tout ça. J'en avais marre de l'émulation bloguesque, marre des photos d'ustensiles, marre des pompages d'un site ou forum à l'autre. Et puis je ne savais plus du tout où j'en étais, entre mon urticaire à propos des théories toutes faites (quelles qu'elles soient, oui, même les 4 éléments), mon ras-le-bol des étalages de matériel et de décorations, mes questionnements sur "mais d'où ça vient que telle pierre fait tel truc et telle plante veut dire telle chose" et mes propres ressentis de base... Ces derniers étaient complètement noyés, les pauvres. Trop d'information tue l'information. J'ai tout jeté, enfermé les outils dans la malle, brûlé plein de trucs, refusé de dire un nom de divinité ou presque, arrêté de célébrer avec des noms et des dates fixes la grande roue des saisons, cessé même d'oser penser à faire un sort, parce que j'avais rencontré tellement de gens qui s'auto-convainquent de leurs merveilleux pouvoirs alors qu'ils ne font juste rien que je ne voulais plus faire pareil et me mentir. Je voulais les racines, la source et la vérité. Même dure. J'ai refusé d'utiliser toutes ces connaissances que j'avais amassées pendant des années. Je n'ai fait qu'écouter, m'ouvrir, ressentir. Marre d'imposer des schémas humains sur une Nature tellement complexe. Rien ne lui va, aucun cadre ne peut la contenir, faut arrêter avec ces bêtises. Moi, en tout cas, ça ne me convient pas. J'ai laissé filer le temps, je me suis occupée à autre chose et j'ai vécu d'autres terres, d'autres saisons, d'autres cultures. J'ai refusé catégoriquement ne serait-ce que de parler de concepts ésotériques ou de traditions anciennes avec qui que ce soit. J'ai été une interlocutrice païenne absolument déplorable ^^ Et volontairement. Moi, qui avais tant cherché des "copaïens", je les ai fuis avec application. Je vais mieux. Le Sacré me tire toujours par la manche, ça n'a jamais arrêté. Je ne fais pas grand'chose de concret mais je regarde et admire beaucoup. J'ai découvert que c'est en-dehors des cercles ésotériques qu'on apprend le plus de vraies choses sur la Nature et ses mystères... Les costumes de pirates du Valborg (1er mai suédois) à Sundsvall m'ont appris ce qu'est une vraie fête du printemps. Je ne peux d'ailleurs plus concevoir une fête de printemps sans Sima, cette boisson fermentée finnoise avec les raisins qui flottent. Une amie chrétienne luthérienne très fervente, qui va à la messe tous les dimanches, m'a offert mes meilleurs moments de partage faunesque, à cuisiner de la compote de pommes du jardin pour quinze personnes pendant tout un hiver et à cueillir les tratt kantareller dans les sous-bois moussus en s'appelant au kulning comme les vachères d'autrefois appelaient leurs bêtes. Un-e ami-e queer résolument citadin-e et moderne a partagé avec moi les plus belles baignades mystiques que j'aurais jamais imaginées, dans un lac couvert de brume dont on revenait à moitié nus et trempées au petit-déjeuner de notre internat, hilares et complices. J'ai vu la trollkors suspendue à la fenêtre d'un ami qui savait à peine qu'Odhin est le nom d'un ancien dieu de chez lui et s'en fichait éperdument. J'ai causé symbolique des broderies de bunad (costume folklorique norvégien) avec une mère de famille athée convaincue au pied d'une église en bois debout. J'ai appris plein de morceaux magnifiques des mains d'un forgeron violoniste de génie qui vit au fond de la forêt et qui, malgré son âge certain, possède une séduction qui ferait presque ombrage au Sauvage. J'ai appris à me méfier de tout ce qui concerne les anciennes traditions, le surnaturel et le paganisme et qui s'en réclame. J'évite ces choses-là comme la peste. Elles ne m'apportent que de nouveaux concepts qui n'ont rien à voir avec le ressenti de la Nature et du Sacré comme je les conçois. J'ai jeté les 4 éléments, j'ai écarté les Cercles, j'ai jeté tous les symbolismes des pierres, arbres, plantes et animaux, j'ai banni les théories sur les couleurs que je n'avais de toute façon jamais appréciées, j'ai effacé les noms des divinités et des célébrations, à part quelques-unes, qui font partie de mon gros fourre-tout de panthéon personnel où même moi je ne me retrouve pas et ça va très bien, merci. Je ne sais plus ce que je suis, ni ce que je sais, à part pas grand'chose. Et ça n'a aucune importance, car depuis que j'ai cessé de coller des concepts, des noms et des théories à tout, j'ai enfin retrouvé le ressenti et l'instinct. Et le plaisir du moment présent. Et c'est cela qui est sacré. Si j'écris ici (et j'ai très longuement hésité à ouvrir un nouvel espace virtuel dédié à ma spiritualité), ce n'est pas pour être lue. D'ailleurs je me demande si quelqu'un d'autre que moi lira cette ligne un jour. J'écris pour moi, pour avoir un cloud de mes poèmes, déjà (j'ai perdu tous mes fichiers informatiques en janvier, depuis je suis prudente), et puis parce que le fait d'être potentiellement lue me clarifie la tête et les mots. Je n'ai rien à apprendre aux autres si ce n'est à n'écouter personne sauf leur propre ressenti. Ou à engranger beaucoup et tout oublier ensuite, mais ça prend plus de temps et ça laisse des séquelles. Je ne suis sûrement pas meilleure que les gens que je critique moi aussi (mais je ne poste pas des photos de Mortimer mon crâne d'élan sur Instagram pour montrer que j'ai la classe rebelle). Mais j'ai au moins l'impression de ne plus faire partie du troupeau, vu que je suis seule. Et pourtant, je n'ai jamais autant partagé de moments sacrés avec des gens. Juste que ces gens ne s'identifient pas comme païens / sorcières et compagnie. Ce sont juste des gens sensibles à la Nature et qui ont été assez malins pour ne pas aller chercher de concepts à coller dessus. Ne pas faire, ne pas définir, et être bien comme ça, parfois, c'est mieux que de se prendre le chou. Dixit l'une des personnes qui se prend le plus le chou que je connaisse, c'est-à-dire moi-même.
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Pensées et réactions sur bien des choses liées à la spiritualité. Peut-être beaucoup de critiques. Mais aussi beaucoup d'admiration.
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Décembre 2021
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