Un bon article, un peu succinct toutefois à mon goût : Quand le marketing aura dompté et tué la sorcière J'ai quitté le Paganet (surnom que je donne à l'Internet païen et sorcier ; dans ce billet je vais me concentrer sur le côté sorcier mais garderai le surnom par convenance) il y a bientôt 10 ans. Pourtant, ces blogs et forums avaient été mon souffle d'air, mon antre secrète et sécuritaire à l'adolescence, un monde intangible mais fort qui m'avait donné la force d'être qui je suis, de croire en ce que je sentais et d'avancer sur des chemins qui m'appelaient à grands cris depuis toujours. J'ai ADORÉ le Paganet, j'y ai vécu et m'y suis développée et épanouie pendant des années et je n'aurais jamais pensé y devenir si férocement opposée un jour. Et pourtant je suis partie, principalement parce que j'ai compris que ce qu'on trouve sur Internet, c'est toujours la même chose, et que ça manque cruellement de vécu et de substance. Combien de sorcières qui dépensent des fortunes en accessoires, tarots et compagnie sans savoir grand'chose des vraies plantes, des vraies arbres, des vrais animaux ? Combien d'entre elles qui prennent des photos certes magnifiquement orchestrées et les postent sur les réseaux sociaux mais n'utilisent, à vrai dire, ces superbes décorations que comme... décorations, justement ? Ca sonne creux à mes oreilles (et je suis musicienne, j'ai de très bonnes oreilles). Pour ça et plein d'autres raisons, je suis partie. Mais je mentirais si je disais que je suis restée sourde aux nouvelles de ce monde-là. J'y ai gardé quelques contacts, très peu, très triés, généralement de façon invisible de ma part. Je n'ai jamais pu me défaire de mon sang noir, de mes ongles dans la terre, de mes cheveux flottant derrière mon balai en vol, de mes collections d'os trouvés au hasard de mes vadrouilles, ni, je le reconnais, d'un penchant immense pour une certaine esthétique : l'esthétique sorcière. Le noir, le victorien, le fantastique, le naturel, l'inquiétant, toutes ces choses mêlées en un brouet à la fois cool et rejeté. Cool, justement. C'est cela que j'ai vu émerger depuis plusieurs années, ce mot qui veut dire tellement malgré son sens si large. Je l'ai vu se coller petit à petit à ces symboles, ces atmosphères, ces esthétiques dites sorcières. Les blogs, pages de réseaux sociaux, sites et autres se sont multipliés, avec un appel esthétique toujours plus recherché, plus chiadé, des photos magnifiques, la technologie galopante permettant à tout le monde d'utiliser filtres et retouches. Et sans que je ne le voie vraiment arriver, la Sorcière était devenue cool. Pas la sorcière traditionnelle verte à verrues, ni la sorcière vaudou par exemple (le monde occidental n'a jamais rien compris au vaudou et ça n'est pas près de changer), ni la gentille sorcière apprivoisée des cartoons et séries télévisées (Ma Sorcière Bien-Aimée et compagnie, déjà lissée depuis longtemps) (je ne mentionne par Harry Potter et c'est voulu, car c'est un sujet social bien trop vaste et que je préfère ne pas m'y attaquer pour l'instant, mais je sais que les livres et films ont énormément contribué à la démocratisation et démystification de la sorcellerie en général). Non, la Wiccane en priorité, vu qu'elle était la plus facile à trouver et à cibler, et puis tous les courants que la Wicca traînait derrière elle. Tous les symboles, les ankh affectionnées par les gothiques, les runes nordiques, les pentacles bien sûr à toutes les sauces, et même quelques caractères thebans... se sont retrouvés sur des sacs, des t-shirts, des mugs. Et puis le mot, LE mot : Sorcière. Lui aussi est devenu un produit. Etre une sorcière n'est plus une chose honteuse que l'on cache (comme il y a longtemps et/ou dans certaines régions notamment très conservatrices/chrétiennes) ni un objet de moqueries (ma génération, plus ou moins). C'est devenu une sorte de marque, que l'on revendique en l'affichant partout - et SURTOUT sur ses réseaux sociaux. Il y a un truc qui me chiffonne là-dedans. Beaucoup. Les sorcières ont toujours vendu leur magie, de façon plus ou moins officielle ou secrète selon les âges et les situations. Elles en ont eu besoin pour vivre, tout simplement. Je me souviens des premières boutiques sorcières et/ou païennes francophones en ligne, où des passionnées vendaient par exemple des petits chaudrons en cuivre dénichés dans des brocantes (je rêvais d'en avoir un), des smudges ou autres encens faits maison, des bijoux aussi, voire des baguettes magiques. J'ai bavé des heures sur la boutique de Sarah Ann Lawless avec ces sets divinatoires en bois, faits main, magnifiquement peints. Ce petit commerce ne m'a jamais hérissé le poil, comme dit, il est naturel, normal, la sorcellerie demande à être payée depuis la nuit des temps, d'une manière ou d'une autre - c'est un travail, après tout, comme bien d'autres choses (je suis musicienne professionnelle, donc, et j'en connais un rayon sur le travail non reconnu, je peux vous dire). Non, ce qui me dérange, c'est l'échelle, l'ampleur que ça a atteint, avec de vrais commerces très prospères se lançant dans l'affaire - et aussi, d'une certaine façon, le manque absolu de pudeur tant des marques que des personnes qui portent ces vêtements, bijoux et accessoires. Je me souviens encore d'un temps où, loin d'afficher son pentacle, on le portait en pendentif long caché dans son col, sous ses vêtements. Ca me fait penser à la démocratisation du tatouage dans notre société, cette manie d'afficher en grand et en très visible quelque chose qui autrefois était caché. Est-ce mieux de cacher que de montrer ? Je ne le pense pas, ne serait-ce que pour la liberté de porter ce que l'on veut sans se faire emmerder, que j'ai toujours férocement défendue. Toutefois je trouve qu'il y a une grande différence entre pouvoir porter ses symboles religieux ou spirituels ouvertement sans problèmes et le fait de les afficher en énorme, partout. Comme dit, cela relève pour moi d'un manque de pudeur - et ne lisez pas dans ce mot une consonance honteuse, mais la distinction entre l'intime et le public. Mais à l'heure où tant de gens affichent leur relations amoureuses en détails sur les réseaux sociaux, j'ai l'impression que le concept d'intime est parti aux fraises. J'ai l'impression que le marketing et la surconsommation, comme ils ont déjà fait avec les mouvements hippie et rock ainsi que tellement, tellement d'autres choses, sont en train de passer au rouleau compresseur la figure de la sorcière. Après l'avoir haïe et ostracisée pendant des siècles, on a tenté de la transformer en ménagère docile, puis elle est devenue juste un monde dans lequel évoluer avec des idées et valeurs finalement très moldues (oui le clin d'oeil à Harry Potter est voulu, parce que c'est de cette franchise dont je parle maintenant)... et au final ce monde est devenu juste un décor, une panoplie, un set de décoration, décliné en toutes les variantes possibles et imaginables et surtout vendables. Et elle se retrouve maintenant en tant que logo, dans une petite boîte bien commercialisable, bien propre, bien en plastique, bien légale, bien pas inquiétante du tout, qui ne questionne plus rien. Cette fois, elle est muselée, vaincue, domptée. ... Pensez vous ! La sorcellerie existait bien avant les pentacles que l'industrie a dénaturés, bien avant les chapeaux pointus (qui sont d'ailleurs ceux des hérétiques et/ou des nobles des cours médiévales), bien avant Harry Potter et sa magie en livres d'école, même bien avant ce vieux Gardner qui a fait bien du gloubiboulga indigeste que tant de gens reprennent hélas comme paroles sacrées. Au final, on s'en fout. La sorcière est un logo à la mode ? Ca ne changera rien à celles et ceux qui portent ce mot en leur coeur, comme un mot d'amour secret à des esprits sombres et sauvages, chuchoté avec émotion sur les chemins des Vents, des corps nus, des racines amères et des flammes dansantes. La sorcellerie vendue en masse aujourd'hui, malgré son désir d'être rebelle et subversive, ne fait qu'être, finalement, très convenue et bien-pensante, avec uniquement les travers communs de son contexte social. La liberté réelle, la sauvagerie profonde, n'est pas et ne sera jamais domestiquée. Elle continuera de vénérer le sang et les os, d'écouter la nuit et la peau, de donner une place saine et paisible au désir sexuel, d'étudier les comportements des gens et des peuples pour les comprendre intimement, de s'essayer à communiquer avec champignons, plantes, montagnes et animaux farouches, d'accepter le féminin dans toute sa complexité sans le juger ni le nier, et de glisser délicatement ses doigts dans la trame des mondes pour, au besoin, tirer çà et dénouer là afin de rééquilibrer l'ensemble.
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Pensées et réactions sur bien des choses liées à la spiritualité. Peut-être beaucoup de critiques. Mais aussi beaucoup d'admiration.
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Décembre 2021
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