Je suis sortie faire un tour aujourd'hui. Ca faisait environ deux semaines que je traînais plutôt à l'intérieur ou que je vadrouillais mais de ville en ville. Pas de moment à moi, dehors, près des arbres et des Vents.
Et je sais pourquoi je suis sortie aujourd'hui. Parce que le temps est pourri depuis deux jours. Hier il roillait trop pour que je ne mette le nez dehors, pis j'avais à faire, mais aujourd'hui ça menaçait sans pour autant tomber vraiment, le ciel était torturé comme un poème de Baudelaire et l'obscurité se faisait sentir même à midi. Ce sont la chaleur et le soleil qui pendant plusieurs mois m'ont chassée des forêts, des chemins. La chaleur, ça m'étouffe, ça me pèse sur le crâne, le soleil me grille, m'agresse. Je n'aime pas quand il fait trop chaud pour porter des manches longues, je n'aime pas vivre avec peu de tissu sur moi, je n'aime pas transpirer sous mes cheveux, je n'aime pas quand même mes baskets légères sont trop chaudes quand je vais marcher. Je ne suis pas une enfant du chaud, je ne l'ai jamais été. Je n'aime pas la "belle saison", enfin, quand elle est trop chaude. La seule chose que j'apprécie dans ces grandes tiaffes, ce sont les orages, énormes, vengeurs. Mais le ciel bleu me fatigue. Je me souviens, déjà toute gosse, je disais que j'avais peur du grand lac, peur d'aller dedans me baigner... Je ne l'aimais qu'en hiver, quand les vagues le rendaient fou, quand les drisses claquaient contre les mâts, quand des milliers d'oiseaux du Nord venaient profiter de ses eaux riches qui ne gèlent jamais. Je mangeais des faines sur les rochers et ramenais dans mes poches assez de cailloux pour recouvrir la maison entière de mosaïques. Depuis que j'ai vécu en Suède, c'est encore plus marqué. Je repense à l'Hiver là-haut, si terriblement sombre, si dur, avec les poils du nez qui gèlent, la Grande Nuit qui règne, les joues qui tirent dès qu'on reste plus de 5 minutes dehors, parfois même l'air qui fait mal à inspirer. Ces ciels si incroyablement clairs quand la neige est tombée. Et cette neige !! Si fine, si sèche ! On nageait dedans sans trouver le sol et on s'en relevait sans une miette sur les manteaux de laine. Le duvet de ma lèvre supérieure et de mes joues gelait lors des longues marches dans le noir et l'amant rieur ne pouvait plus parler du tout, prisonnier de la gangue de glace tissée par les esprits facétieux sur sa moustache et sa barbe. Je repense à l'automne scandinave, si brusque et court, tout jaune, plein de champignons et de baies innombrables qu'on va cueillir en se huant comme des bergères des temps anciens, et puis soudain tout tombe, les lichens vivent brièvement, rendant les forêts gris-vert et odorantes. Et les chevreuils commencent à venir sous les fenêtres manger les pommes qu'on a laissées. Je repense aussi au long printemps gris, si timide, si hésitant que l'on peut à peine compter une nouvelle feuille par jour, alors que le printemps continental explose, lui, en à peine quelques semaines. Je suis une enfant de l'Hiver. Je connais bien le Sauvage hivernal, son aura si sombre, son rire fou tandis qu'il chevauche les branches noueuses des pommiers nus dans le grand Vent froid. J'ai en revanche du mal à voir son visage vert, celui qui est couvert de feuilles, son regard séducteur, sa peau chaude. Il m'est insaisissable. J'en perçois le principe mais ne l'ai jamais rencontré. Peut-être un jour ? Je l'aimerais. Cela me réconcilierait peut-être avec cette saison dans laquelle je ne me sens pas à ma place. Ce n'est pas un hasard si ma plume est sombre, automnale, rude. J'écris aussi pour la verdeur, la verdure, mais c'est infime comparé aux torrents créateurs qui s'échappent de mes doigts quand j'invoque mentalement les baies flétries pendant des branches nues... Depuis que j'ai terminé mes études, ou du moins que je suis des cursus qui me laissent du temps à ma saison des merveilles, je peux enfin vivre le mois de septembre et son magnifique basculement. Je peux le vivre pleinement, prendre le temps d'aller grappiller les cynorrhodons, ramasser les feuilles dans leurs plus belles parures et faire des tumulus de noix. Et je ne m'en prive pas !
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Pensées et réactions sur bien des choses liées à la spiritualité. Peut-être beaucoup de critiques. Mais aussi beaucoup d'admiration.
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Décembre 2021
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