" Le corps est un robot sans l'esprit, l'esprit un fantôme sans le corps. " Toutes les photos illustrant cet article représentent la compagnie norvégienne de danse 'Frikar'. J'ai eu la chance de voir leur spectacle 'Leahkit', qui m'a beaucoup marquée et depuis je suis fascinée et inspirée par leur travail. Dans le milieu de la spiritualité, on parle beaucoup de l'ESPRIT. On travaille son mental, on réfléchit. On médite, on théorise, on débat, on construit, déconstruit, et tente d'envoyer ses yeux intérieurs de par le monde. J'ai été élevée dans une famille d'artistes et d'intellectuel-les. J'ai été rat de bibliothèque, brillante élève, esprit fureteur, dès un très jeune âge. Le savoir, la connaissance, la réflexion, l'intelligence : tels étaient mes outils, que j'ai su affûter et développer. C'était une bonne chose. Restait un incompris dans tout cela, un mal-aimé, un ignoré : le CORPS. Ma passion pour les chevaux m'a, heureusement, poussée dehors en toutes saisons, à grelotter sur ma selle, me faire dévorer par les insectes, prendre un joli paquet de bleus et griffures, et m'écheveler en grands galops dans la poussière. Grâce au cheval, la Nature m'a toujours été proche, fascinante, et j'ai su, malgré la prévalence de "l'esprit sur la matière" de mon éducation, faire passer mon corps à travers les temps et les efforts, le conserver en bon état, sans en avoir conscience. Mais peu à peu, cela n'a plus suffi. Je pense avec le recul que la découverte de mon corps à l'adolescence (accompagnée d'une énorme difficulté d'acceptation qui m'a paralysée longtemps, d'ailleurs) m'a fait prendre conscience de cette partie charnelle, matérielle de moi-même, que je ne regardais pas, ou seulement d'un oeil distrait. Mon oncle, ami ours bienveillant, me fascinait en décrivant sa passion à lui, le corps, son mouvement, son travail, sa force, ses faiblesses. J'étais fascinée, sans comprendre. Je rêvais de danser. Je rêvais d'acrobaties légères dans l'herbe, dans les branches. Je courais la Forêt et faisais un peu de cirque (jonglage principalement), mais je sentais qu'il manquait une conscience de tout cela. Pas juste utiliser son corps, mais le comprendre, le maîtriser, pour l'utiliser en pleine possession de lui. J'ai commencé à danser. Et le début fut catastrophique. J'ai commencé l'escrime ancienne. Et ce le fut tout autant. J'ai serré les dents et persévéré. Aujourd'hui je me remémore mes premiers mois d'escrime, si frustrée de ne pas pouvoir soulever ma lame pour me battre avec que je m'astreignais à des entraînements quotidiens intensifs. Seule, dents serrées, avec un progrès ridicule chaque jour. Mais je me souviens du sentiment de triomphe absolu quand, après presque un an, j'ai osé retoucher mon épée et qu'elle m'a paru fétu de paille. Je m'en souviens et je savoure ces moments si durs et si heureux. Prendre conscience de son corps est ardu, complexe, difficile quand on est naturellement faible. Mais c'est aussi profond et merveilleux. C'est découvrir une partie de soi... comme une nouvelle main que l'on n'aurait jamais remarquée et qui s'avère un peu difficile à contrôler, mais ouvre tant d'horizons ! J'ai continué à danser, j'ai continué l'escrime. J'ai rencontré des danseur-ses, des personnes complètement passionnées par l'équilibre du corps et son mouvement. J'ai vécu avec ces gens qui parlaient de direction, de geste, d'énergie, à longueur de journée. J'ai dansé avec ces ami-es, recevant régulièrement la grâce de comprendre une miette de plus de mon corps et de la danse. Et sans que je n'aie vraiment compris comment, j'étais devenue une bonne danseuse (du moins c'est ce qu'on me dit). D'ailleurs aujourd'hui j'enseigne la danse. Il y a 5 ans, je ne l'aurais jamais cru possible. Je me suis bagarrée avec plein de gens, pour rire, j'ai testé ma force et j'ai mordu la poussière des tonnes de fois. J'ai pris la grande claque d'humilité qu'apportent les arts martiaux, celle qui te brise l'orgueil pour te permettre d'enfin apprendre. J'ai sué et pesté et maudit mille fois l'idée de m'être levée de ma chaise. Et je ne l'ai jamais regrettée. J'ai commencé à faire glisser mon corps sur l'arrondi de l'équilibre, j'ai roulé sur un sol dur avec un partenaire sans me faire mal, j'ai laissé ma nuque tenir mon corps à l'envers, j'ai porté et me suis envolée. Mon oeil s'est aiguisé, voit les équilibres et les trébuchements les plus légers, perçoit l'humeur dans le geste, le tempo juste dans la danse, la douceur dans le combat. Parfois je regarde et je pleure, parce que les gestes me touchent tellement. L'esprit est un fantôme sans le corps. A travers mon propre Chemin, j'ai compris que la spiritualité fait fausse route si elle est censée se suffire à elle-même. La cohérence implique l'équilibre de tous les aspects de la Vie. Tout comme un ruban de plastique brise la globalité d'une cérémonie forestière, le corps malmené, mal compris, négligé, ne peut s'accorder à l'esprit libre qui bondit sur les pierres. Bien sûr, nous ne sommes pas tous égaux quant au corps. Je suis moi-même favorisée sur certains aspects et pars extrêmement perdante sur d'autres. Mais quand mon esprit veut bondir sur les pierres, mon corps l'y amène pour de vrai. A chaque personne de travailler, à sa mesure, pour aller aussi loin que possible sur la connaissance de son corps... Et le Chemin, comme tant d'autres, est infini. Nous ne sommes pas, en fait, une dualité corps/esprit. Nous sommes un tout, extrêmement complexe - et intéressant. L'équilibre et l'harmonie découlent d'une conscience et d'une bienveillance pour chacune des parties qui nous composent : notre système digestif, nos rêves, notre peau, nos espoirs, nos croyances, notre nom, nos os, notre capacité respiratoire, nos peurs, notre sang, nos souvenirs, nos sentiments, nos muscles, nos émotions... C'est un travail énorme, le travail d'une Vie, tout simplement. "Il ne sert à rien de s'y engager si l'on n'est pas décidé à y progresser" (Bottero) (dont je vous recommande, au passage, le cycle des Marchombres, mine d'or de sagesse et d'inspiration quant à l'harmonie). Je connais bien la difficulté de ce travail, je suis moi-même en plein dedans, tout le temps, et c'est dur, c'est complexe, je me perds et me décourage. Mais les émotions des corps qui se balancent dans le Vent, qui jouent avec les arbres, qui font pulser le sang dans leurs veines... tout cela me porte. Comment trouver cette compréhension, cette harmonie du corps ? Il y a beaucoup d'aspects et tous sont fascinants. Mes Chemins à moi ont été, comme raconté plus haut, la danse (folk) et les arts martiaux (escrime ancienne et capoeira). Un peu d'escalade aussi, que je rêve de pratiquer plus régulièrement. Je sais que le yoga, le TaiChi, d'autres sports (à condition qu'ils ne soient pas destructifs, visant la performance au détriment de la santé), sont aussi des chemins. Un autre, que j'utilise aussi beaucoup, est celui de la dureté des éléments naturels, notamment climatiques. L'hiver et le froid m'ont énormément endurcie, et malgré la douleur parfois intense qu'ils apportent, je les accueille toujours avec plaisir. La chaleur, sûrement aussi (mais j'ai de la peine avec elle, elle m'abrutit, je suis une fille du Nord !). Le Vent, bien sûr, si présent dans ma région d'origine, mon compagnon hurlant. Marcher dans la neige, randonner sous le Vent, nager entre les vagues, grimper les falaises de pierre... Aussi allumer un feu de camp, dormir sous les étoiles, travailler dehors quand il gèle, et bien sûr l'immanquable : cultiver son jardin. J'ai l'impression que ma pratique païenne et sorcière, si elle existe absolument toujours, n'a plus rien à voir avec ce qu'elle est pour la majorité des gens. Je l'ai ôtée des cercles, des bougies, des rituels, des outils biscornus, des grimoires, des divinités même, pour l'offrir aux éléments, aux rocs, à la pluie, à la sueur, à la poursuite des traditions des campagnes, à un quotidien plus simple, plus ancien, plus rude, plus naturel.
Je ne dis pas que c'est ce qu'il faut faire, que c'est "la" seule pratique valable. Mais c'est la mienne, et elle me convient infiniment mieux que ce qu'on trouve dans les bouquins. Mon paganisme à moi, c'est d'ôter les échardes de mes doigts à la lueur de mon feu dont les bûches ont fait travailler ma scie et mes épaules toute la soirée. Ma sorcellerie à moi, c'est de faire un voeu au pied d'une falaise et de le chanter dans le Vent une fois arrivée au sommet. C'est moins folklo que les ronds de cierges, les tirages de tarot, les statuettes de divinités et les rubans colorés, mais ça a aussi sacrément la classe. Et ça fait vibrer jusqu'aux os, les miens et ceux de la Terre.
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Pensées et réactions sur bien des choses liées à la spiritualité. Peut-être beaucoup de critiques. Mais aussi beaucoup d'admiration.
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Décembre 2021
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