Avant-hier c'était Valborgs mässoafton ici en Suède. J'ai vu le brasier des voisins illuminer la nuit. En sortant fermer aux poules, j'ai encore dérangé les deux lièvres qui visiblement aiment à se pourchasser autour de ma boîte aux lettres. Pas croisé notre compère renard fauve et noir cette fois-ci, mais les grives chantaient à pleine gorge tandis que je foulais le tapis de violettes. Plus tard dans la nuit, savourant un dernier verre de cidre maison avant d'aller me coucher, j'ai entendu la chouette. Cela fait maintenant des années que je ne "pratique" plus la magie. Parfois un geste ou une prière aux esprits anciens et sauvages, mais les rituels, cercles, formules et compagnie n'ont plus cours dans ma Vie. Parce que je me suis appliquée à rendre mon quotidien magique en lui-même. J'ai fait des choix dans ce sens, parfois terrifiants, comme m'expatrier seule et sans plan précis dans un pays dont je parlais tout juste la langue. Ou d'autres qui demandent juste une forme de courage renouvelé chaque jour, comme travailler dans un métier physique (je suis apicultrice) et me chauffer en bonne partie au bois. Je crois que le plus important choix que j'aie pu faire dans le sens de rendre ma Vie plus magique, c'était de la rendre plus sauvage. Je n'ai jamais été une enfant des villes, bien que je les apprécie aussi beaucoup à petites doses (les virées à Uppsala de café gustavien en bibliothèque multilingue avec mon amie aux cheveux verts, par exemple, sont magiques en elles-mêmes). Mais mon année en Dalécarlie Ouest (Västerdalarna), à vivre dans un chalet en bord de rivière avec les castors et mésanges pour seuls voisins et 6°C dans la cuisine en février, m'a définitivement rangée dans le camp des campagnardes. Vivre à la campagne, je ne le cache pas, est souvent dur. Il y a peu de contacts sociaux à la ronde, il faut faire du chemin pour la moindre course, et le quotidien est simplement plus rude, surtout ici, en Scandinavie, surtout l'hiver comme on peut s'en douter. Notamment dans une bâtisse victorienne dont la tuyauterie gèle chaque hiver et dont le chauffage atteint avec peine 15°C pendant plusieurs mois. Les joies d'habiter dans de vieilles maisons ! Mais ces petits tracas et difficultés en valent tellement la peine ! J'aime aller chercher le bois pour me chauffer ; le fendre réchauffe d'ailleurs ! J'aime pelleter la neige sous les étoiles si nombreuses, qu'aucune lumière de ville ne concurrence. J'aime même devoir me battre contre les rongeurs qui grignotent tout ce qu'ils peuvent, parce que ca me rappelle que je ne suis pas le centre du monde, que d'autres Vies font leur chemin aussi autour de moi, que je n'en suis qu'une parmi d'autres et que toutes sont valides et importantes. Et surtout, j'aime l'espace que j'ai à disposition, le silence si profond des nuits que je peux entendre les lièvres courir dans le jardin, l'air si pur que j'ai l'impression de le boire, l'absence de voisins qui pourraient s'offusquer de ce que je joue du violon à 3h du matin, et toute la sauvagine qui croise mon chemin chaque jour presque sans me prêter attention. Je suis de plus en plus persuadée que la véritable magie ne réside pas dans le fait de faire quelque chose (rituel, formule, potion, etc.) mais d'agir au quotidien sur la toile de la Vie pour la modeler, en touches légère, à sa convenance. Tout comme posséder un vrai pouvoir consiste à avoir la confiance et la sagesse de ne pas s'en servir, hors absolue nécessité. Le lien qu'on ressent à la magie du monde ne s'en trouve pas affaibli, au contraire, il se renforce et s'épure. On n'est plus aveuglée par le côté "technique" de la magie, mais on la manie avec naturel, on fait corps avec elle et on distingue mieux toutes ses nuances et ses clins d'oeil. Mon quotidien est d'une magie incroyable et toute naturelle. J'ai un chat majoritairement noir qui me suit partout et communique beaucoup. Je concocte des breuvages mystérieux à base de champignons (kombucha) et des fruits de mon jardin (jus de pommes et cidre maison). J'ai un jardin et un verger immenses pleins de bestioles en tous genres (aussi les désagréables hein) qui me pourvoient en légumes, fruits, fleurs et feuilles pour nourriture et tisanes. J'ai des poules que j'adore (deux d'entre elles sont noires, pour le cliché) qui me picotent les mains et m'offrent leurs oeufs chaque jour. Je file, teins et tisse la laine de moutons que j'ai grattouillés depuis leur naissance (on en a un troupeau à la ferme apicole où je bosse). Je joue des morceaux de violon avec des titres évocateurs tels que "danse du diable" ou "le démon dans le rocher". Je vadrouille dans des forêts moussues et odorantes dans lesquelles je trouve régulièrement bois de rennes et os d'élans. Je crie des choses (probablement des inepties) aux choucas, corbeaux et corneilles qui, parfois, me répondent. Est-ce que les côtés "actif" et rituel me manquent ? Oui, parfois. Commencer à rédiger mon Grimoire (relié main il y a quelques années) me démange, mais je me demande un peu qu'y inscrire. Aucune recette magique, si ce n'est celle du flan aux violettes ou de l'hydromel à la menthe d'eau. Aucun rite secret, si ce n'est apporter du porridge au tomte pour garantir le bien-être des animaux domestiques. Aucune formule mystérieuse, si ce n'est la litanie de jurons et de prières qui accompagne un feu ne voulant pas démarrer. Aucune mélopée puissante, si ce n'est la collection de chansons traditionelles murmurées à mon chat ou chantées à plein poumons en teignant la laine. Aucune prière sorcière si ce n'est la reconnaissance exprimée à demi-mot, couchée sur un rocher touffu, les yeux perdus dans la canopée. Peut-être que la véritable magie n'est pas faite pour être écrite ni transmise, mais vécue ?
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Pensées et réactions sur bien des choses liées à la spiritualité. Peut-être beaucoup de critiques. Mais aussi beaucoup d'admiration.
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Décembre 2021
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